La société haïtienne comme toute société a connu ses temps forts et ses moments de détresse. De nos jours, elle est en proie à de grandes difficultés qui ne remontent pas d’hier. L’effritement des valeurs telles que le civisme, l’entraide, la solidarité, la fraternité, bref les notions de convivialité, ne fait que diminuer les possibilités permettant à cette société de produire des leaders à la dimension de notre passé glorieux. Il en résulte l’émergence d’une méfiance chronique qui la gangrène dans ses moindres espaces. Or, toute évolution sociale passe par la confiance établie entre ses différentes composantes dans leurs interactions. Cette situation nous conduit tout court à une crise sociétale. En effet, n’y a-t-il pas lieu de nous responsabiliser face à cette situation ? Avons-nous montré la volonté réelle de prendre en main notre destin en tant que peuple ? Pourrait-on transformer cette situation si lamentable en opportunité historique? Où sont passées les élites haïtiennes ? Quelles sont leurs responsabilités ? Des réflexions et des réponses s’imposent.
Si notre force réside dans l’unité nationale, il demeure que la division constitue la principale responsable de notre désarroi. Force est de constater que l’une des principales barrières qui nous empêchent de trouver un consensus aujourd’hui c’est la méfiance. Le pays est sévèrement affecté par une crise de confiance. Cette dernière conduit à la débâcle de nos institutions républicaines et trouve sa manifestation notamment dans le délitement de la famille. En effet, celle-ci est le pilier fondateur et la première institution d’une nation. Aujourd’hui, la famille haïtienne est caractérisée par la méfiance. Le père de famille n’inspire plus de confiance à la mère, l’inverse est aussi vrai. Et ce fléau n’épargne pas les enfants. Par ailleurs, cette situation qui est répandue à travers nos institutions, fragilise la cohésion sociale et nous empêche de nous assoir autour d’une table pour poser nos véritables problèmes.
Un autre exemple qui pourrait illustrer cette crise de confiance qui ronge la société haïtienne est la prolifération des partis politiques en Haïti durant ces trente dernières années. Si cette explosion de structures politiques pourrait être interprétée comme le signe d’un certain engouement pour la démocratie, il est important de faire remarquer que celles-ci ont souvent des vues et des programmes souvent similaires. À cet égard, on doit rappeler que l’idée de « conférence nationale » prônée par le feu Docteur Tuneb Delpé n’a pas été soutenue par les différents secteurs de la vie nationale, mais on a constaté en revanche l’émergence de toute une panoplie d’idées œuvrant dans le même sens : dialogue national, combite nationale, les grandes assises nationales, les États généraux, les États généraux sectoriels, etc. » Cela met en lumière cette crise de leadership qu’on est en train de vivre et qui est la résultante de cette méfiance qui caractérise notre société. Personne ne croit pas en personne. Il en résulte qu’on n’arrive pas à trouver un consensus en vue de définir une vision réelle nous permettant de dénouer cette crise multiforme.
En ce qui a trait aux valeurs nationales que nous partageons, depuis un certain temps on assiste à leur effritement. Défini par le Petit Robert comme « le dévouement du citoyen pour sa patrie », le civisme serait une solution de long terme à la crise nationale si cette notion était enseignée et inculquée aux enfants qui constituent l’avenir du pays et le devenir de la nation. On doit donc les apprendre à aimer la patrie tout en sachant leur devoir. Des valeurs fondamentales comme la fraternité, l’entraide et la solidarité nous manquent horriblement. Ces dernières pourraient bien constituer notre force en tant qu’individu vivant dans une même communauté, mais hélas, elles sont en train de disparaître dans notre société.
Par ailleurs , il faut admettre que le pays est aussi frappé par le fameux phénomène d’acculturation causé par la mondialisation qui nous pousse à rejeter notre identité et les valeurs qui caractérisent notre force comme peuple et qui ont fait de nous la première République noire du monde, pour avoir défié la plus grande puissance d’alors, à savoir l’Empire napoléonien, du même coup jeté les bases de la liberté et changé l’ordre des choses. Face à une telle situation, nos intellectuels devraient s’engager dans une véritable lutte visant à éduquer notre population tout en essayant d’influencer les choses de façon positive. Ainsi, une élite doit être proactive, mais non passive, c’est le véritable problème de notre élite intellectuelle, elle n’assume pas ses responsabilités en tant qu’élite et Haïti en paie, au prix fort, les conséquences. Cette considération est aussi valable pour les élites politique et économique. Ainsi, on peut soutenir que nos élites haïtiennes sont les principales responsables de son désarroi actuel. D’où, pour qu’on puisse sortir dans ce marasme, nos élites devraient être interpellées puisqu’elles sont responsables de notre imbroglio national.
Maintenant, il est grand temps que les citoyens et citoyennes se responsabilisent par rapport à cette déchéance. Aujourd’hui, il est indéniable que nous n’avons pas un système éducatif adéquat ni un système sanitaire pouvant répondre à nos besoins. Nous ne pouvons pas non plus assurer la sécurité et l’avenir de nos progénitures. Là encore, nos élites sont responsables, mais consciemment, il faut admettre que cet échec est partagé, chaque entité du pays doit faire son mea culpa. Ce qui est important aujourd’hui, c’est de trouver les voies et moyens de nous mettre ensemble comme l’avaient fait les héros pour conquérir notre indépendance. Enfin, poser le problème d’État nation, à travers ce que docteur Tuneb Delpé appelle : « La Conférence nationale », jeter nos contentieux tout en indexant nos vrais problèmes.
Un autre point qu’il faut souligner, c’est l’absence de leadership et de vision réelle pouvant sortir notre chère Haïti de l’ornière du sous-développement. Certes, on peut affirmativement conclure que cette absence de leadership et de vision est la conséquence de cette méfiance qui caractérise la société haïtienne, mais si on n’arrive pas à développer un leadership éclairé qui pourrait traduire en une vision nationale, le pays ne sortira pas de l’impasse dans laquelle il se trouve. On est en droit d’affirmer que la méfiance est au centre de cette crise sociétale. En vue de pallier tous ces problèmes, les élites doivent assumer leurs responsabilités en tant qu’avant-gardistes. Face à tous ces freins au développement et à l’unité nationale, nous suggérons comme véritable alternative « La réconciliation nationale » à travers une conférence nationale, seul moyen pouvant permettre, pour une fois, de poser les problèmes réels de la nation et de prendre la voie du développement. Il revient donc aux élites haïtiennes de se mettre à la hauteur des enjeux et défis de l’heure pour sortir la nation de l’impasse actuelle.
Josué JEAN
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