Haïti/Politique
Force militaire étrangère en Haïti: entre espérance et scepticisme
Alors que la crise multidimensionnelle qui sévit en Haïti depuis quelque temps ne cesse de s’envenimer, les forces en présence ne se montrent pas à la dimension de la crise. Les positions se durcissent. Aucune solution en vue. Le pouvoir en place, impuissant, se tourne vers l’International en sollicitant formellement une intervention armée étrangère pour rétablir un climat de sécurité dans le pays.
La résolution du Conseil des ministres, en date du jeudi 6 octobre, autorisant le Premier ministre Ariel Henry a sollicité une intervention militaire étrangère, fera tache d’huile dans l’histoire du pays. Dans cette résolution publiée dans le Journal officiel Le Moniteur, il est clairement dit que le Conseil des ministres donne mandat au Premier ministre, Ariel Henry, pour «Solliciter et obtenir des partenaires internationaux d’Haïti un support effectif par le déploiement immédiat d’une force spécialisée armée, en quantité suffisante, pour stopper, sur toute l’étendue du territoire, la crise humanitaire causée, entre autres, par l’insécurité résultant des actions criminelles des gangs armés et de leurs commanditaires.»
Par cette action, le gouvernement dit entendre parvenir rapidement à un climat sécuritaire devant permettre de lutter efficacement contre le choléra, de favoriser la reprise de la distribution du carburant et de l’eau potable à travers le pays, le fonctionnement des hôpitaux, le redémarrage des activités économiques, la libre circulation des personnes et des biens, et la réouverture des écoles.
Cette résolution, comme on pouvait s’attendre, a suscité une pluie de réactions parmi des acteurs nationaux aussi bien que ceux de l’International. Entre pour ou contre, un véritable débat est déclenché sur les réseaux sociaux ainsi que dans les médias traditionnels.
Au niveau de la classe politique, les réactions vont dans le sens du positionnement des acteurs politiques. Ceux qui se réclament de l’opposition au pouvoir de facto du docteur Ariel Henry se sont montrés contre toute idée de sollicitation d’une force étrangère. Les partis signataires des accords PEN et Montana se sont inscrits dans cette lignée. D’ailleurs, Fritz Alphonse Jean, président élu de l’accord de Montana, se positionne clairement contre toute intervention étrangère dans le pays.
Le tiers du Sénat, à travers une résolution en date du 9 octobre, paraphée par neuf sénateurs, a désapprouvé la démarche de l’équipe au pouvoir qui a sollicité l’aide militaire internationale pour faire face à la crise qui ravage le pays. Il demande au Premier ministre de surseoir immédiatement à l’exécution de la résolution du 6 octobre, tout en enjoignant les forces vives du pays à accorder le bénéfice de l’urgence aux discussions en cours en vue de dégager un consensus pour la résolution de la crise.
Du côté des pro-pouvoir, jusqu’ici, c’est le calme plat. À l’exception du parti MTV qui annonce son retrait de l’accord du 11 septembre en raison de cette demande d’intervention étrangère, les autres partis signataires de cet accord semblent se souscrire entièrement à la démarche du gouvernement.
Les organisations de la société civile, notamment celles œuvrant dans la défense des droits humains, digèrent très mal cette demande du pouvoir en place. Les organismes du secteur patronal, à ce jour, n’ont pas encore communiqué leur position officielle relative à la sollicitation du gouvernement.
La communauté internationale préoccupée
Saisie formellement par le gouvernement haïtien, la communauté internationale a les pieds et mains liés dans le dossier d’Haïti. Si au niveau du département d’État américain, le dossier était à l’étude, selon le porte-parole, Ned Price, les Nations unies, jouant un peu au Ponce Pilate, ont appelé la communauté internationale à agir vite sur la situation d’Haïti.
«Le Secrétaire général exhorte la communauté internationale, y compris les membres du Conseil de sécurité, à examiner de toute urgence la demande du Gouvernement haïtien de déployer immédiatement une force armée internationale spécialisée pour faire face à la crise humanitaire, y compris assurer la libre circulation de l’eau, du carburant, de la nourriture et des fournitures médicales, des principaux ports et aéroports vers les communautés et les établissements de soins de santé», a rapporté Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire de l’Onu, António Guterres.
Contrairement en 2004, les Nations unies ne sont pas prêtes à diriger une opération militaire en Haïti comme ce fut le cas avec la Minustah. Elles renvoient la balle dans le camp de la communauté internationale. Les yeux sont rivés surtout sur les États-Unis et le Canada pour agréer ou pas la demande du gouvernement d’Ariel Henry.
Qui paie la facture?
Les opérations militaires sont extrêmement coûteuses. Avec la grande crise sanitaire, la guerre en Ukraine et les autres foyers de tensions éparpillés de part et d’autre, les finances publiques ne sont pas en bonne santé et les moindres centimes des contribuables doivent être gérées avec minutie.
À cette phase, l’ex-colonel Himmler Rébu, dans son analyse de la conjoncture, se montre sceptique quant à la possibilité de voir des troupes américaines et/ou canadiennes débarquer en Haïti. «À la veille des élections de mi-mandat aux États-Unis, les risques politiques d’engager des marines en Haïti sont trop élevés d’autant que les États-Unis sont devenus tellement puissants qu’ils ont perdu le contrôle des guerres de basses intensités. Un seul marine tué en Haïti serait une catastrophe pour le parti au pouvoir (…) en campagne », a fait savoir l’ancien homme fort des Forces armées d’Haïti (FAD’H).
Poursuivant son analyse, Himmler Rébu dit croire que les pays de l’Amérique du Sud ne seraient pas prêts à s’engager dans une aventure en Haïti après l’échec des dix dernières missions, dont celle de madame Helen La Lime. Même cas de figure, dit-il, pour le Canada. Toute tentative de l’Onu relative à ce dossier, affirme-t-il, se heurtera obligatoirement au veto de la Russie et/ou de la Chine juste pour gêner les États-Unis.
En attendant la décision de l’International, le pays s’enfonce. Un mois de paralysie des activités. La population est à bout de souffle. On est au bord d’un génocide que les élites haïtiennes, toutes catégories confondues, en seraient les seuls responsables.
HEN
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