Contrairement aux attentes inavouées du gouvernement haïtien, un éventuel déploiement militaire ne vise pas la consolidation du pouvoir en place, selon des diplomates étrangers. Rejetant cette probabilité, ils invitent les protagonistes, de préférence, à résoudre la crise politique par la voie du dialogue dans un contexte où plus d’un acteur politique réclame, sans condition, la démission du Premier ministre haïtien, Ariel Henry.
Erreur de calcul, peut-être. Le débarquement militaire étranger éventuellement en Haïti est d’ordre sécuritaire et non politique. Si le pouvoir caresse l’espoir de son maintien par la force des bottes étrangères, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, aura déçu plus d’un. Dans une lettre adressée au Conseil de sécurité de l’Onu dans laquelle il lui demande d’examiner plusieurs options en matière d’aide sécuritaire à apporter à Haïti, M Guterres souligne, par ailleurs, qu’il faut un dialogue inclusif entre les protagonistes pour résoudre la crise.
Le poids de la dialectique l’emporte sur la force des armes, à en croire le diplomate qui croit que, en dehors d’un cadre discursif entre les protagonistes de la crise, «le rétablissement de la sécurité et l’organisation d’élections resteront un défi». La dernière douche froide vient avec l’annonce de la réunion du Conseil de sécurité de l’Onu sur le dossier d’Haïti prévue le 21 octobre prochain. Le gouvernement haïtien devra, à cette occasion présenter au Conseil un rapport détaillé des avancées qu’il a obtenues dans le cadre des discussions avec l’opposition en vue de résoudre la crise.
Un compromis hypothétique
À cette phase des débats, le pouvoir est loin d’être serein. Le rapport de force est probablement inversé contre toute attente. Cette quête de consensus est plus hypothétique qu’elle ne l’était avant le pourrissement de la crise. L’opposition, à l’unisson, réclame le renvoi du gouvernement. Même les plus modérés dont le leader de Unir-Haïti, Clarens Renois, l’apôtre du compromis, fustige le pouvoir notamment en raison de sa demande d’assistance militaire étrangère à l’Onu. Cet acte, selon M. Renois, signe la mort historique du chef du gouvernement defacto.
Au niveau des jeunes (hommes et femmes) engagés politiquement, à l’instar des structures politiques «Nou pap konplis», «Nou pap dòmi» et autres, la tendance est à la démission de M. Henry et la mise sur pied d’une transition de rupture, suivant la vision politique de l’accord de Montana auquel ils appartiennent. À ce titre, le António Guterres dit encourager la participation des jeunes dont des femmes dans le cadre d’un dialogue inclusif, condition sine qua non, selon lui, pour résoudre la crise.
Pourtant, le gouvernement, en produisant une demande d’intervention militaire à M. Gueterres, espère un retour au calme notamment à travers le déblocage de l’accès menant au terminal Varreux occupé par la bande armée de Jimmy Chérisier, alias Barbecue. Ce qui permettrait d’approvisionner en carburant – dont le prix a été exagérément ajusté – l’ensemble des institutions vitales du pays.
L’ajustement des prix du carburant, la pointe de l’iceberg
Les mouvements de protestation populaire aigus, communément appelés «peyi lòk», ont effectivement débuté le 13 septembre suite à l’annonce suivie du communiqué du gouvernement qui entérine l’ajustement du prix du carburant. La gazoline qui se vendait à la pompe à hauteur de 250 gourdes est passée à 570 gourdes (128%), le diesel a cru de 353 gourdes à 670 gourdes ( 89.8%), de même que le kérosène, utilisé par la grande majorité des ménages a augmenté de 88,9%, soit de 352 gourdes à 665 gourdes. Il s’en est suivi le blocage systématique des rues, des manifestations incessantes jusqu’à l’intrusion de gangs qui revendiquent le blocage de la voie menant au terminal Varreux à Cité Soleil.
D’un mouvement pour exiger du gouvernement le retrait de ces mesures d’ajustement des prix du carburant, la mobilisation populaire s’est muée en «peyi lòk», lequel est caractérisé par le blocage systématique des rues et des manifestations émaillées de violences: actes de pillage et de vandalisme dont l’objectif vise le départ du pouvoir de Ariel Henry. Un ensemble de griefs juxtaposés à la crise sévère du carburant ont été soulevés pour justifier cette position dont le règne du grand banditisme, l’insécurité alimentaire. Au-delà des défis sociaux économiques, la population haïtienne s’en est prise à l’incapacité du pouvoir à diriger le pays à tout point de vue. L’opposition, dans cet ordre d’idées, dit dénoncer l’arrogance et l’intransigeance du Premier ministre, Ariel Henry, qu’elle juge illégitime et illégale au pouvoir.
Depuis sa prise de fonction à la Primature, le 20 juillet 2021, suite à la bénédiction de la cheffe du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (Binuh), Mme Helen La Lime, Ariel Henry souffrait d’une carence de légitimité en dépit du soutien de certains acteurs politiques locaux dont le Secteur démocratique et populaire (SDP), la Fusion des Sociaux démocrates, le PHTK, Inite, Cadoa, etc, à travers la signature de l’accord du 11 septembre. Ce pouvoir a été contesté par plusieurs groupes d’acteurs politiques dont les plus influents ont accouché d’autres accords politiques dont ceux du Protocole d’entente nationale (PEN) et de Montana. Ce dernier, plus radical, a procédé, le 30 janvier 2022, à l’élection d’un président, l’économiste Fritz Alphonse Jean, et d’un Premier ministre, Steven I. Benoit.
Les tentatives du pouvoir de mettre sur pied un Conseil électoral provisoire (CEP) en vue de l’organisation d’élections se sont soldées par un échec cuisant. Plusieurs secteurs dont des organismes de droits humains, des organisations de femmes et institutions religieuses ont décliné l’invitation de M. Henry à désigner leurs représentants au CEP. En cause, ces secteurs évoquent le climat de sécurité non propice à la tenue des prochaines joutes électorales. Sans compter l’épineuse question d’un consensus politique avec l’opposition.
À ce niveau, on est pas sorti de l’auberge. Ariel Henry persiste et signe que tout président de la République devant siéger au Palais national doit bénéficier de la légitimité populaire via l’organisation d’élections. Alors que les tenants de l’accord de Montana, tout comme ceux de PEN ainsi que d’autres acteurs réclament à cor et à cri un exécutif bicéphale. Les tentatives de discussion entre des leaders de Montana comme Magali Comeau Denis et Ariel Henry ont toujours échoué. Les deux parties campent radicalement sur leurs positions. Certains observateurs estiment que le gouvernement en place était de mauvaise foi et arrogant. Ils en veulent pour preuve le fait que le Dr Ariel Henry ait qualifié les acteurs de l’accord de Montana d’enfants qui badinent au lendemain de l’élection organisée par le Conseil national de transition.
Ce climat politique délétère joint à l’insécurité généralisée a attisé davantage les frustrations populaires. Les cas de kidnapping, de massacre, de viols collectif n’ont cessé de croître à Port-au-Prince et dans les villes de province. L’entrée sud de la capitale haïtienne (Martissant) ouvrant la voie à quatre départements du pays est assiégée par des bandes armées. Commerçants et paysans du grand sud, incapables d’écouler sur le marché local leurs produits agricoles, sont aux abois. En réaction, les villes de Jacmel et des Cayes notamment ont manifesté leur ras-le-bol depuis plusieurs semaines consécutives avant le mécontentement généralisé dans le pays.
Depuis cinq semaines, le chaos s’installe en Haïti. Entre pénurie sévère du carburant, barricades et manifestations successives, la population meurt à petit feu. Des entreprises commerciales, des hôpitaux et les établissements scolaires ferment leurs portes alors que des gangs continuent de terroriser impunément la population.
HEN
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